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Fragments d'un
discours amoureux

création 2010
​​d'après Roland Barthes

Mise en scène Arnaud Churin

Équipe artistique

Collaboration artistique Emanuela Pace, Philippe Marioge, Gilles Gentner et Olivier Bériot

Chant Dominique Wenic Béaruné

Interprètes


Luciana Botelho, Arnaud Churin et Scali Delpeyrat

Production Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône

Coproduction La Sirène Tubiste

Avec le soutien de la MC93 Bobigny

Avec l’aide à la production d’Arcadi

Avec l’aide au projet de la DRAC Île-de-France

Spectacle créé à l’Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône du 9 au 12 mars 2010

 
 
 
 

« C’est donc un amoureux qui parle et qui dit : »

Cet avertissement précède le corps du texte des fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes.

Le mot amour, est tout à fait singulier, il est d’ailleurs féminin au pluriel. L’« amor » latin aurait du se transformer en «ameur», comme « dolor » a donné « douleur » en français. Dans sous le signe du lien Boris Cyrulnik nous explique que c’est en Occitanie que ce mot a pris ce drôle de tour ; le troubadour inventa l’amour.

Barthes présente son texte sous forme de figure, « l’amoureux reconnaîtra des scènes de langages ». Comme l’amateur de patinage reconnaîtra la triple boucle piquée, l’amoureux reconnaîtra les figures qui jalonnent le souvenir de son état amoureux. Dans son introduction l’auteur parle de figures de « gymnastique ». Les fragments, toujours selon l’introduction, ne sont ni une analyse, ni une explication de l’amour, mais une affirmation de l’amour. Ce livre de Roland Barthes est construit par Intitulés, qu’il appelle les Figures.

Chaque Figure est découpée en versets, Barthes fait référence autant à des grands textes de la littérature qu’à des conversations qu’il a eues avec tel ou tel. C’est tout le cadre noir de Saumur des amoureux qui est dans ce bouquin.

 

Les Figures sont d’autant plus frappantes qu’effectivement nous les reconnaissons. Comme les adeptes du sport équestre reconnaissent les prouesses des cavaliers virtuoses. Le lecteur se révèle amoureux au fur et à mesure qu’il « reconnaît » les situations, les étapes de son propre cheminement affectif. « Le discours amoureux est d’une extrême solitude », c’est sur ce constat que Barthes ouvre son oeuvre, dont il aimerait, nous dit-il, qu’elle soit comme une « coopérative, ouverte à tous les amoureux, à tous les énoncés de tous les amoureux. » La représentation de ces fragments dans un dispositif théâtral, incarnation de la parole, rythme de la représentation, vise à affirmer l’état amoureux en créant une communauté qui se reconnaît dans cet état amoureux. Les spectateurs se passionnent pour l’amour, comme d’autres pour les chevaux. Ils ont cru que l’histoire de leurs amours a permis d’affirmer leur singularité, en même temps, ils sont époustouflés par la pertinence des fragments qui les réunissent, comme une monte qui se dévoile encore plus précise en ce qu’elle conjugue les contraintes imposées à tous les cavaliers.

 

Quittons là la métaphore équestre qui nous entraîne sur un terrain glissant lorsque l’on parle de l’amour. Car si les figures amoureuses sont reconnues, si à l’écoute des « énoncés » on se vit plus amoureux qu’on ne le pensait, l’on comprend dès lors que ce n’est pas dans l’affirmation de notre discours amoureux que nous rencontrons notre singularité, mais dans l’exercice intime de l’amour, dans son aspect le plus charnel. Dans l’introduction (décidément !) de « Madame Edwarda » Georges Bataille écrit « si tu ris c’est que tu as peur ». C’est la peur qui encourage la grivoiserie, car le sexe nous fait peur et de temps en temps, nous choisissons d’en rire. Le rire évoqué ici est un rire de gorge, que l’on qualifiera de gras. Le rire que suscite Barthes dans son ouvrage est un rire du nez un « Umpf » ce drôle de son qui provient de la contraction de notre diaphragme mais pour lequel nous expirons l’air par le nez. Un hoquet de compassion en quelque sorte. Et c’est sans doute cette part tellement vivante, tellement réjouissante, cette légèreté que nous donne la lecture de Barthes, c’est cette légèreté subtile qui «donne envie» de dire ce texte de le partager, de créer la communauté des amoureux et de leur inventer un objet qui les réunissent dans ce « Umpf » qui sonorise leur reconnaissance mutuelle.

Ce sont des amoureux qui jouent

Les fragments de ce discours ne peuvent être dits que par des amoureux. Deux amoureux qui tenteront de déciller leur regard sur l’amour. Ils ne veulent pas « connaître » l’amour, ils veulent l’affirmer. Chacun prisonnier dans cette solitude, que désormais nous savons commune à tous, ils sont amoureux. Mais de qui ? C’est pour tendre cette dimension de la chair que nous avons voulu, en plus des deux comédiens joindre une danseuse. Pour qu’au-delà des déterminations, hétéro/homo il y ait une incarnation, donc une crédibilité dans les situations qui sont développées. Le trio finalement, renforce la solitude et le « quant à soi » de chacun des interprètes. C’est de cette solitude tellement reconnue par le public, tellement détaillée par la maladie que l’amour provoque de vouloir être exact dans son ressenti, que le spectateur « Umpfe ». Il peut projeter à loisir ses situations de langage à lui, les fragments de son vécu amoureux car la « distribution » n’impose pas un lien. Tantôt l’un tantôt l’autre sont délaissés, et la fille dans certains cas est la poule d’une expérience, ou une émanation du texte lui-même. L’ensemble doit être de nature à « déplier » la complexité du texte, à se réjouir de son entendement.

 

L’espace dans lequel évolue les interprètes est nu, afin que toutes les situations soient vraisemblables sans qu’aucune d’entre elles n’aient besoin d’être accessoirisées. La langue de Barthes est tellement juste, tellement équilibrée que tout doit concourir à en faire le centre de la représentation. Pour rencontrer les solitudes qui sont sur scène il faudra que notre esthétique reste extrêmement légère et que les images qu’elle pourrait déployer proviennent des interprètes. Ils sont auto-suffisants, c’est eux qui sont l’objet de leur propre discours, puisque « c’est un amoureux qui parle et qui dit ». Aucune machinerie extérieure ne saurait être mise en place, ce sont les interprètes qui doivent tout produire, tout faire advenir. Lors de la lecture que nous avions rendue public lors du « Marathon des mots » 2004, nous n’avions pas de musique, simplement nous utilisions des micros. Au commencement il y a deux voix, qui disent un morceaux de l’introduction des «Fragments d’un discours amoureux» concernant les figures précisément, comme un prologue, un trait d’union avec le livre. Alors que l’on entend le texte de Barthes, la danseuse interprète une chorégraphie supportée par la musique des mots. A la fin du texte elle porte une pancarte où il est inscrit « C’est un amoureux qui parle et qui dit ».

 

Les comédiens entrent et ce sont quelques figures, quelques fois des extraits, qui nourrissent la représentation. L’idée d’une narration n’est pas totalement absente du montage. Ravissement, attente, rencontre, casés, fâcheux, mutisme, lettre d’amour, ces mots mis bout à bout « racontent » déjà sans qu’il n'est besoin de chercher une autre trame fictive. Il s’agit pour passer de la lecture à la représentation de faire un travail rigoureux sur la langue de Barthes. Dans mon esprit ce spectacle pourrait être le lieu où l’on travaille sur les mots des comédiens, sur la qualité de leurs énoncés. Ce livre n’est pas tout à fait étranger au théâtre, Barthes est un vrai amoureux de théâtre. Alors supposons que par la fréquentation des « fragments… » l’on puisse « nettoyer » les interprétations afin qu'elles permettent l’expression de cette élégance et cette suspension qui traverse le texte.

Arnaud Churin

Fragments d'un discours amoureux, spectacle de la Compagnie La Sirène Tubiste Alençon, mise en scène Arnaud Churin
Fragments d'un discours amoureux, spectacle de la Compagnie La Sirène Tubiste Alençon, mise en scène Arnaud Churin
Fragments d'un discours amoureux, spectacle de la Compagnie La Sirène Tubiste Alençon, mise en scène Arnaud Churin
Fragments d'un discours amoureux, spectacle de la Compagnie La Sirène Tubiste Alençon, mise en scène Arnaud Churin
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